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Protestation contre l'eugénisme
PROTESTATION
M'occupant depuis plus de trente ans des sourds-muets et des sourdes-muettes, je suis heureux de profiter de la publication de cette 20e édition pour protester énergiquement contre la stérilisation hitlérienne décrétée contre tous les sourds-muets et toutes les sourdes-muettes du Reich.
Le fait observable est que la surdi-mutité peut se transmettre par hérédité, mais exceptionnellement. Ainsi, en ce moment, dans l'Institution des sourds-muets de Poitiers, sur 80 élèves, 2 seulement sont enfants de sourds-muets, et, dans l'Institution des sourdes-muettes de Larnay, 5 sur 104. Par contre, nous voyons journellement ici se fonder autour de nous des foyers par un sourd-muet ou une sourde-muette, anciens élèves de nos écoles, épousant même souvent un conjoint sourd-muet, et en sortir de beaux enfants parfaitement sains et normaux.
Une autorité en la matière, le docteur Ladreit de la Charrière, médecin chef de l'Institution nationale des sourds-muets et de la Clinique otologique de Paris, qui était « en relations avec presque tous les ménages sourds-muets de la capitale », écrivait, en 1889, que les enfants sourds-muets n'arrivaient guère que dans les familles où les parents sont tous les deux sourds-muets de naissance ; or, la surdi-mutité de naissance ne se produit, d'après ses propres observations, que dans la proportion de 20% (1). L'on voit tout ce qu'il faut accumuler de chances défavorables pour risquer des enfants sourds-muets. La stérilisation des sourds-muets en masse apparaît donc comme un attentat à la liberté, particulièrement odieux, qui va priver du bonheur légitime de fonder une famille, un très grand nombre de pauvres êtres pour qui le destin a déjà été plus dur que pour la plupart des autres hommes : c'est doubler leur infirmité et ajouter un malheur à un autre.
Poitiers, 30 décembre 1933,
Professeur Louis ARNOULD.
(1) Préface à l'ouvrage de L. Goguillot. Comment on fait parler les sourds-muets. Paris, G. Masson.