• Une couronne civique

    UNE COURONNE CIVIQUE A LARNAY.

    Lauréate du prix Montyon à l'Académie française en 1899, la Sœur Marguerite s'est vu décerner, ainsi qu'à ses compagnes de Larnay, en 1903, l'une des trois couronnes civiques de la Société d'Encouragement au bien, présidée par M. Stéphen Liégeard (les deux autres l'ont été à Octave Gréard, vice-recteur honoraire de l'Académie de Paris, et à l'Association philotechnique de Paris). Ce sont les plus hautes récompenses dont dispose cette honorable compagnie, qui n'ayant aucune espèce d'attache religieuse, recherche infatigablement, où qu'elles se trouvent, toutes les grandes manifestations de la vertu. Si l'auteur d' Ames en prison pouvait croire que sa brochure primitive eût contribué, dans la plus petite mesure, à faire rendre justice à ces grandes éducatrices et à ces grandes Françaises, sa joie serait bien grande.

    La distribution solennelle des récompenses eut lieu le dimanche 21 juin 1903, au Cirque d'Hiver, à Paris, plus solennelle qu'elle n'avait été depuis quarante-deux ans qu'existe la Société. Pour la première fois elle était honorée de la présence du chef de l'Etat : le Président de la République, M. Loubet, la présidait ; plus de 6.000 personnes y assistaient. Quand le nom des Sœurs de la Sagesse de Larnay a été proclamé, « un cri a traversé la salle, répété par des centaines de poitrines: « Vivent les Sœurs !» Et ce cri a été réitéré quand le Président de la République , dans sa réponse à M. Stéphen Liégeard, a fait aux lauréates de Larnay une allusion discrète et rapide (1). »

    « A côté de ce jeune sauveteur de sept ans, qui, à peine arrivé à l'âge de raison, mérite une récompense, dit M. Loubet, — et de son père, qui est un des héros du devoir, à côté du nom de ce jeune Vincent, nous verrons celui de Pasteur, le plus grand peut-être des bienfaiteurs de l'humanité. Nous verrons le nom de cette religieuse qui a soigné tant de malheureux. Sœur Sainte-Marguerite. » (Salve d'applaudissements — Ovation.

    COMPTE RENDU DE LA DISTRIBUTION SOLENNELLE DES RÉCOMPENSES, 21 Juin 1903, p. XIX (2).

    Nous transcrivons du reste la Notice, en la copiant dans la même brochure officielle :

    « L'Institution des sourdes-muettes des Sœurs de la Sagesse, l'une des plus dignes d'admiration qui soient en aucun pays, a été fondée à Poitiers en 1833. Transférée à Larnay en 1847, elle s'est adjoint, dix ans plus tard, l'oeuvre des aveugles.

    « Dans ce bel établissement poitevin, trente-deux  Filles de la Sagesse se consacrent, avec un zèle et des soins au-dessus de tout éloge, à améliorer le sort des pauvres infirmes qui leur sont confiées. La maison, qui a instruit de huit à neuf cents sourdes-muettes et cent cinquante aveugles, compte actuellement dans ses murs deux cent quarante sourdes-muettes et aveugles. Voilà le bilan de l'Œuvre poursuivie, depuis près de soixante-dix ans, par les admirables sœurs de Larnay.

    « Mais il y a plus ! Ces infatigables du dévouement poussé jusqu'au sacrifice sont parvenues à instruire trois jeunes filles à la fois sourdes-muettes et aveugles, parmi lesquelles Marie Heurtin, dont la célébrité a, depuis quelque temps déjà, franchi les frontières de la France...

     « Quelle reconnaissance et quelle admiration ne devons-nous pas éprouver pour ces libératrices d'âmes ! »

     « C'est ce double sentiment qui a inspiré le bureau du comité poitevin de notre Société dans la requête qu'il adresse au Conseil supérieur, affirmant qu'aucune occasion meilleure ne peut être trouvée de rendre un public et grandiose hommage à tant de vertu, de patience et de dévouement. C'était déjà l'avis de l'Académie française qui, le 23 novembre 1899, par la voix éloquente de M. Brunetière, louait et récompensait l'institutrice de l'infirme Marie Heurtin, Sœur Sainte-Marguerite ; c'est aussi l'écho de l'opinion, à l'étranger, qu'il s'agisse de l'Allemagne, de la Hollande ou de-l'Angleterre.

     « En présence d'un mouvement de faveur si unanime et si justifié, la Société nationale d'Encouragement au Bien ne pouvait hésiter, et elle n'a point hésité, en effet, à décerner une de ses trois Couronnes civiques aux saintes et merveilleuses institutrices de l'Asile de Larnay (3). »

     

    Le dimanche suivant, 28 juin 1903, eut lieu à Poitiers dans la salle des fêtes de l'Hôtel de France, devant un nombreux public représentant toutes les classes sociales, la proclamation de la couronne accordée aux Sœurs de Larnay, au cours de la réunion annuelle tenue par le Comité poitevin de la Société d'Encouragement au bien, comité fondé par le regretté M. P. Druet, ancien bâtonnier de l'Ordre des Avocats, ( Voir le compte rendu dans le Journal de l'Ouest, 1er juillet 1903.)

    Malheureusement, par un excès de modestie qui leur valut d'amers reproches de leurs amis, les Religieuses de Larnay se refusèrent à paraître à l'hôtel de France de Poitiers comme au Cirque d'Hiver de Paris. Mais l'artistique couronne de vermeil leur fut apportée à Larnay par les membres du Comité poitevin, et, simplement encadré, le diplôme de la Société d'Encouragement au bien, portant la devise de la Société : Dieu, Patrie, Famille, blanchit à présent le mur du parloir aux pieds du portrait enfumé du fondateur de la maison, M. l'abbé de Larnay.

     Le bien reste malgré tout tellement ignoré qu'un député sincère a pu déclarer, le 26 mai 1901, à la tribune du Pala:s Bourbon : « Depuis un siècle il n'a rien été fait pour l'enseignement ds» enfants sourds-muets et aveugles... » et « on garde beaucoup plus les enfants dans les établissements actuels privés qu'on ne les y instruit (4). » C'est sur de tels mensonges que l'on fonde artificiellement la nécessité de créer de nouvelles écoles d'Etat, qui grèvent lourdement le Budget.

     Marie Heurtin, Marthe Obrecht, Anne-Marie Poyet, Marthe Heurtin, si remarquablement instruites à Larnay, et les milliers de sourds-muets sortant des 65 maisons similaires, qui, dans la proportion de 95 %, gagnent honorablement leur vie, rétablissent éloquemment la vérité.

    Source : "Ames en prison", 1934

     

    Entrefilet du journal "La Croix" du 19 06 1903

    CELLES QUI FONT LE BIEN
    La Société nationale d'encouragement au bien vient de décerner sa plus haute récompense, une couronne civique, à l'institution des sourdes-muettes de Larnay, à Poitiers. Cette institution est dirigée par les Sœurs de la Sagesse.
    D'un côté, la bande de forcenés qui tient le pouvoir, préparant des mesures d'expulsions violentes contre les héroïnes de la charité.
    D'un autre côté, ces mêmes Soeurs, objet des plus éclatants hommages rendus à leurs mérites et aux services qu elles multiplient.
    Le spectacle n'est pas banal.

     

    Article du journal "La Presse" du 27 04 1903

    Couronnes civiques. A la Société d'Encouragement au bien. L'assemblée générale d'après-demain.

    Les lauréats.
    Après-demain mardi, à l'issue d'une messe qui sera célébrée à l'église Saint-Louis d'Antin à l'intention de ses membres décédés, la Société d'Encouragement au bien tiendra son assemblée générale annuelle au lycée Condorcet. Cette solennité qui sera présidée par M. Stephen Liégeard, le distingué successeur de Jules Simon, à la Société, sera entièrement consacrée à l'attribution définitive des récompenses pour l'année 1903.
    A l'instar de l'Académie française et de l'Académie des sciences morales et polititiques, la Société d'encouragement au bien recherche en effet les actes de dévouement et de désintéressement et chaque année, en une grande séance publique qui a lieu au Cirque-d'Hiver, décerne à ceux qui les ont accomplis diplômes d'honneur et médailles.
    Les plus hautes récompenses remises dans cette fête du Devoir sont de magnifiques couronnes en vermeil justement appelées couronnes civiques.
    Une indiscrétion nous a permis de connaître les titulaires de ces couronnes civiques pour l'année 1903. Le conseil supérieur de la Société a désigné M. Octave Gréard, l'Association polytechnique, l'Institution des jeunes sourdes-muettes et des jeunes aveugles de Larnay, près Poitiers. La ratification de ces choix par l'assemblée générale ne fait aucun doute.
    C'est la seconde fois que M. Gréard recevra la couronne civique. En 1878, en effet, la Société nationale d'Encouragement au bien lui décerna sa plus haute récompense pour reconnaître les services qu'il avait rendus à l'enseignement primaire comme inspecteur de l'Académie de Paris.
    Depuis cette époque, nous a dit un des membres du conseil de la Société, M. Octave Gréard a acquis de nouveaux titres à notre reconnaissance. Placé, pendant près d'un quart de siècle, à la tête de l’Université de Paris, il a exercé par ses travaux, par son administration, une influence aussi heureuse que considérable sur la jeunesse française. Le gouvernement l'en a remercié, en lui donnant le grand cordon de la Légion d'honneur. L'Institut lui a ouvert deux fois ses portes.
    Notre Société pouvait donc lui décerner une seconde fois la couronne civique. Cette exception a déjà été faite en faveur de M. Théophile Roussel, le protecteur de l'enfance qui a été lauréat en 1875 et en 1896.
    L'Association polytechnique, qui a actuellement pour président M. Poincaré, sénateur et ancien ministre, est trop connue pour qu'il soit utile de la présenter. Par des cours nombreux et de non moins nombreuses conférences, elle développe l'instruction populaire de la façon la plus heureuse. Son choix comme lauréat est donc très justifié.
    Le troisième lauréat est, nous l'avons déjà dit, l'institution des jeunes sourdes-muettes et des jeunes aveugles de Larnay. Fondé en 1833 à Poitiers et transféré en 1847 à Larnay, cet établissement, dirigé par les Dames de la Sagesse, ne s'est occupé que des sourdes-muettes jusqu'en 1857.
    A cette époque, il a reçu des jeunes aveugles et depuis sa fondation a élevé, entretenu et instruit neuf cents sourds-muettes et cent
    cinquante aveugles. Le nombre actuel de ces pensionnaires est de deux cent quarante.
    Le dévouement de ces religieuses, a plusieurs fois été signalé par M. Louis Arnould, professeur à la faculté des lettres de Poitiers, par M. Georges Picot, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales et politiques et par M. Brunetière, à l'Académie française le 23 novembre 1899.
    L'éloge de ces femmes dévouées sera fait une fois de plus, prochainement, par M. Alfred Conscience, le dévoué secrétaire général de l'œuvre, qui depuis tant d'années, au cours de la séance solennelle, présente d'éloquente façon, les lauréats aux aux amis dela Société d'encouragement au bien.

    André Villeneuve.

     Notes

    (1) La Vérité française du 28 juin 1903.

    (2) Au siège social de la société, rue Caumartin, 66, Paris.

    (3) P. 18-20.

    (4) Journal officiel du 27 mai 1904, Débats parlementaires, p 1141.

    Nota Bene : En ce qui concerne la devise de la SEAB, elle était autrefois en effet « Dieu, Patrie, Famille » ce qui remonte à 90 ans en arrière. Aujourd’hui elle est bien « Aidons nous Aimons nous ».

    La SEAB (Société d'encouragement au bien) a un site.